Pour une poétique de l’hybridation : Tracer, écrire, effacer, écraser, déchirer, frotter, orner, découper, déplacer, gommer, piquer, reprises, appropriation, ressasser, emprunter, agencer, monter, échancrure, tramer, tisser, distendre, broder, papiers, tissus, carnets, métal, agrafes, fils, aiguilles, blanc, noir, gris, rouge, transparence, translucidité, surépaisseur, notes, dessins, brouillons, lignes, textes, trames, partitions, annotations, plans, cartographies, constellations, atlas…
samedi 30 juillet 2016
Carte postale N°3
Attention chien méchant !
C’est un hameau bien tranquille. Un hameau ponctué de maisons
identiques conformes au passé paysan, dont la disposition architecturale en phase
aux multiples occupations est dédiée, pour l’une à l’habitation, pour l’autre à
la grange, l’étable, la soute aux cochons, les clapiers à lapins, les écuries à
chevaux, et qui s’achèvent à l’extrémité du mur par un escalier, voire une niche
à chien. Les constructions étirent leurs longueurs en fonction du nombre
d’habitants et d’animaux. Aujourd’hui, l’activité agricole s’est repliée vers
les strates de l’histoire. Alors, chacun (héritiers et nouveaux propriétaires)
s’applique à reconvertir, restaurer, rafistoler, embellir, déplacer, réhabiliter,
en préservant ou détruisant telle ou telle mémoire. Une mémoire, qui selon les
humeurs et les goûts mérite ou ne mérite pas d’être sauvegardée. In fine, le parachèvement du toilettage
du hameau fixe les époques dans un simulacre de parure, comme s’il revêtait
chaque jour ses habits cérémonieux du dimanche.
Marcher jusqu’à ce que la pensée se conjugue avec le réel.
Car le réel propose toujours. Qu’il se fasse eau, air, vent ou autres
sensations, son expérience se charge d’une variété d’images que notre pensée
s’applique à débusquer afin de construire des récits.
Ce soir, le hameau s’apprête à s’endormir dans le palpable
silence. Les hommes ont déserté leur espace extérieur vers le repli de leur
chez eux. La maison aligne ses mesures aux belles proportions. Les murs blancs exaltent
la pierre si particulière à la région. Blanche. Tendre. Favorable à l’égard des
ciseaux du sculpteur. En accord avec le soleil déclinant, le toit répand son
ombre sur la façade percée de fenêtres symétriques disposées de part et d'autre
de la porte d’entrée que deux pots de géraniums rouges soulignent. Une bande de
pelouse soigneusement taillée esquisse une assise dans laquelle l’architecture
semble s’enchâsser avec légèreté, comme si la densité du bâti se condensait dans
la parfaite géométrie du bourrelet herbeux.
Au-delà de la bordure végétale,
les gravillons blancs éclaircissent une cour dénudée. Une deuxième bande de pelouse environne le
périmètre de la cour, dont une extrémité se prolonge d’une aire rectangulaire
non clôturée, à des fins potagères. Trois plants de tomate dressent leur verdoyante
superbe vers le ciel. Les haricots verts et les pommes de terre déclinent une
palette de vert qu’aucune feuille brune ne vient altérer. Nulle trace
d’existence de l’ancienne soute aux cochons, des clapiers à lapins, de la niche
du chien et du potager prolongeant le mur de l’enceinte s’ouvrant sur un grand
portail. Ils ont disparu sous le coup de la loi de la tabula rasa, remplacés par un fossé à la section parfaitement
trapézoïdale aux bords façonnés par la truelle, afin que les parois ne
s’effondrent pas.
Ce qui frappe l’observateur jusqu’à l’assourdissement, c’est
le silence de l’endroit, pas seulement le silence sonore, ni celui du vide ou des microphénomènes ; c'est la perception d'un silence total qui oppresse le lieu, comme l'absence
d’une herbe folle, d'une course d’un animal domestique, d'un envol d’un oiseau ou celui de
l’inclinaison d’un arbre sous l’effet du vent. Comme si tout se pétrifiait hors
du mouvement de la vie, du temps et de l’espace. Néanmoins, quelque chose
frappe encore plus fort que le poids du silence. Une frappe que reçoit l’œil. Un coup de
stylet en somme !
Seul, planté au milieu de la pelouse, un panneau de
signalisation dresse son incongruité rouge frappée de lettres blanches. Attention chien méchant !
Ici
Les hommes
jeudi 28 juillet 2016
Carte postale N°2 ; à l’amie, à la sœur…
Jardin ouvert
C'est très amusant de se promener et de se focaliser sur ces motifs de jardins ; même les plus petits, ceux qui agrémentent les espaces les plus incongrus.
Au-delà de la visée décorative, on leur accorde d'autres
fonctions telles de garde-fou d'un escalier à qui on a oublié ou eu le manque
de moyen d'y attribuer une rambarde. Ou alors un espace originellement sans
fonction ; et il suffit de quelques pots et de fleurs et voilà que le jardin advient.
Et puis il y a le plaisir de celui ou de celle qui conçoit cette accumulation
de pot, car accumulation il y a ; c’est une chose récurrente. Sans ordre
préétabli, ce sont les contenants qui retiennent l'attention. En terre, en
céramique, en fibrociment pour les plus classiques, mais il y a les rois de la
reconversion ou du détournement comme les troncs d'arbre évidés ( ici, on
affectionne ce genre d'objet) les vieilles caisses en bois de récupération qui
visiblement ne trouvent plus leur usage de contenant d'objets, les bassines en
plastique colorées et de toutes tailles, les paniers dont on sait qu'ils ne
tiendront qu'une saison et puis surtout ce qui donne le plus de saveurs
poétiques, les cafetières émaillées ou en inox dépoli, les casseroles, les
plats, les vases ébréchés ou écaillés. Un éventail de quincailleries et d’ustensiles
de cuisine et de salle de bain déplient leur forme et leurs couleurs sous les
auvents, dans les recoins et les angles des constructions qui rassurent
l'occupant attaché à ses objets comme autant de petites touches pointillistes
de leur vie. Au-delà des contenants, ce sont leurs supports qui régissent
l'endroit. Des troncs d'arbre, des pierres, des agglos en ciment, des planches
reposant sur deux plots de bois créer un petit banc, ou si on est un peu plus
aventureux, une mini terrasse sur laquelle se dressent d'autres échafaudages.
Mais il y a également les suspensions. Ne pas oublier la verticalité qui fait
que le regard se lève doucement vers les systèmes d'attache, comme le crochet,
la chainette, le macramé, le clou ; pas n'importe quel clou, le clou
sophistiqué collé à une plaque qui représente quelque chose de familier comme
un nain, un chat, une maison selon une variété de matières et de
couleurs. Et puis, il y a les plantes, les élancées, les rampantes, les
grimpantes, les graciles, les fragiles, les touffues et les abattues avec de
grandes feuilles, des petites, des esseulées ou en groupe ; découpées, rondes,
fines, pointues, rondes ou dentelées, lancéolées, palmées, auxquelles répondent
les fleurs en profusion. Depuis le banal géranium rouge, rouge oranger qui
évoque celui de notre enfance, des pétunias, des surfinias, des gauras,
de la lavande, des œillets, de couleur jaune, bleu, rouge, violet, mauve, des
camaïeux des bicolores.
Un fil relie cet ensemble chamarré et disparate. Un fil qui
révèle une présence absente, de celle que l'on ne voit jamais, mais que l'on
devine avec son arrosoir, son pot à eau, sa casserole ou autre objet et qui dès
le matin ou le soir répand la vie. Un jardin de vie ouvert, enjolivé,
agrémenté, tellement précieux pour celle qui saura bientôt relever à son tour
au détour d'un chemin les indices d'un jardin accessible au monde.
mercredi 27 juillet 2016
mardi 26 juillet 2016
Carte postale N°1 ; à l’amie, à la sœur…
« Le lys martagon "
Une fleur, rien
qu’une fleur. Pas de quoi en faire un monde. Cependant !
Dissimulé dans
la pénombre d’un sous-bois, le randonneur passe son chemin sans le voir. Il
faut dire qu’il est rusé le lys martagon avec sa tige élancé vers un ciel
lumineux qu’il ne trouvera que s’il ose sortir du couvert ombragé des arbres
avoisinants. À cette verticale rigide d’un vert tendre se cramponnent quelques
tiges courtes élargies à la base de quelques ébauches de feuilles
prolongées de fleurs à la ciselure majestueuse et raffinée. Des fleurs aux
pétales recourbées en forme d’anse bouclée déploient en leur centre leur
carnation fraiche de joues d’enfant couperosées par les frimas hivernaux, rose
violine, ponctuées de taches de rousseur. Du cœur de la fleur se dresse les
étamines chargées de pollen poudreux que les abeilles viendront inhaler. Dans
un jardin privé, jamais nous ne croiserons un lys martagon. Rebelle et
affranchi il fuit la compagnie des hommes et refuse toute domestication. C’est
au nom de cette insoumission que le regard avisé, épris de liberté trouve en
cette miraculeuse rencontre la poésie de Claude Celan, dont le souffle musical
de la prose vibre des rythmes aux accents de détresse qui saignent le sens. En
résonance avec l’Entretien dans la montagne dont voici l'incipit, nous
nous laissons infléchir au détour d'un chemin par le lys martagon qui strie non
seulement le miroir de notre rétine, mais également notre pensée pétrie de
dissonance. ( Un soir, le
soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s’en alla, sortit de sa
petite maison et s’en alla, lui le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en
alla son nom, l’imprononçable, il s’en alla et s’en vint, s’en vint, clopinant,
se fit entendre, s’en vint bâton en main, s’en vint foulant la pierre,
m’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu
crois entendre, moi et l’autre – donc il s’en alla, on pouvait
l’entendre, s’en alla un soir, alors qu’un certain nombre de choses avaient
disparu, s’en alla sous les nuages, s’en alla dans l’ombre, la sienne et
l’étrangère – car le Juif, tu le sais, qu’a-t-il donc qui lui
appartienne en propre, qui ne soit emprunté, prêté et jamais restitué – donc
il s’en alla et s’en vint, s’en vint de par la route, la belle, l’incomparable,
s’en alla comme Lenz, à travers la montagne, lui que l’on avait laissé habiter
tout en bas, là où est sa place, dans les basses-terres, lui, le Juif, s’en
vint et s’en vint… )
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