TABLEAU 1
Elle a traversé la ville.
Et toute cette agitation.
Ils sont venus pour assister au
spectacle ; simple divertissement pour ceux qui peinent à trouver leur propre
verticalité.
Sous la coupole des nuées
agitées, elles se sont dressées, altières, n’offrant en guise d'or que leur
bois mal équarri. La veille de ce jour, dans les replis d’un atelier niché au
fond d’une ruelle étroite, entre les hauts murs des maisons à étage, ils se
sont affairés à la lueur des lampes, dos ployés luisants de sueur que les diptères
ailés dévoraient avidement. Armés de rabots, ils se pressaient, sans mot,
honorant une secrète commande. Demain matin dès les premiers éclats du jour,
les troupes se mettront en marche, forçant le pas à l’allure domptée de
légionnaire. Les chiens méfiants s’écarteront de leur chemin. Ils savent
d’instinct qu’il ne faut pas provoquer l’animal fiché dans le cœur des hommes
assoiffés de violence. Et elle courre, drapée dans ses voiles de lin que les
fibules retiennent à peine. Ces jours derniers, elle est restée sourde à la
rumeur hystérique dont la confusion grandissante nouait les mailles d’un filet de haine qui
bientôt enserrera la ville blanche.
Elle traverse la cité les pieds
sanglés dans des sandales de cuir finement ouvragé, se hâte vers l'Est où se dessine une lisière festonnée d'ifs filiformes, à l’endroit où le soleil s’arrondit. Sa robe se défait. De
ses mains manucurées de roses printanières, elle retient les tissus qui lui
échappent en glissant sur le sol poudreux du chemin dans un bruit de plainte
qui lui évoque les voiles des felouques claquant au vent. Elle
s’égare. Elle ne l’a pas soutenu lors de la montée vers la colline, le corps
plié sous le poids de la poutre. Une autre femme l’a relayée - Véronique. Elle sait que la
multitude bigarrée l’a pressé de toute part lors de l’ascension. Multitude poussée par
les centurions à cheval ou plutôt aiguillonnée par les lances dressées,
promptes à transpercer les indomptables et les indécis. Ceux qui refusent. Ceux
qui ne vont pas dans le sens indiqué. Ceux qui esquissent une diagonale, qui
désorganisent l’ordonnancement de la ligne ou qui coupent la file. Ceux-là,
sont considérés comme rebelles. Ici, dans la ville blanche on est vite accusé
de rébellion. C’est alors l'assurance d'un enfermement dans un puits sombre, sans autre
forme de procès que le temps qui vide les corps et les esprits.
Elle arrivera trop tard au sommet
du mont.
Éblouie par les premières lueurs matinales, elle devine les silhouettes informes de la foule qui piétine, sidérée, tendue entre la ferveur et l’effroi. Sur les têtes écervelées, les nuées accélèrent leurs courses. Une dilution savante faite de gris de Payne se mélange au violet sombre d’où fusent quelques lumières ocre-jaune. Un grondement semblable au roulement de tambour fend la terre et le ciel, entrainant l’assemblée dans une confusion des corps qui s’entremêlent. Danse.
Éblouie par les premières lueurs matinales, elle devine les silhouettes informes de la foule qui piétine, sidérée, tendue entre la ferveur et l’effroi. Sur les têtes écervelées, les nuées accélèrent leurs courses. Une dilution savante faite de gris de Payne se mélange au violet sombre d’où fusent quelques lumières ocre-jaune. Un grondement semblable au roulement de tambour fend la terre et le ciel, entrainant l’assemblée dans une confusion des corps qui s’entremêlent. Danse.
Elle fend
le rempart formé par les corps des soldats et des curieux. Se jette à ses pieds
dans un geste d'imploration. Libre orante. Puis, joignant les mains elle lève vers lui un regard
suppliant. Les yeux clos derrière ses paupières baissées ne la voient plus. Ni
elle ni le monde.