vendredi 24 août 2012

  Paysage - Marcher - Écouter - Sentir - Ne pas oublier le carnet dans la poche
   Tracer des lignes - Y revenir - Contempler - Saisir l'instant au plus vite - Et - 
  Tracer à nouveau - Des pleins - Des vides - Des déliés - Laisser filer la ligne.




 







jeudi 23 août 2012




La robe

Elle n’aurait jamais dû se trouver sur ce trottoir en cette fin de journée printanière. Visiblement, le soleil renoncera à faire son apparition. Le ciel est gris dehors comme dedans, à l’égale de son humeur. Les hauts murs de la ville encadrent les petites fenêtres aux vitrages obscurs, fermées sur des intimités qui ne se dévoilent pas. Les toits d’ardoises vieillies par le temps ont perdu de leur éclat. Un lichen insistant les recouvre d’une étoupe rugueuse de couleur rouille, leur donnant cet air sinistre qui éteint l’éclat de la cité – tout est pesant, l’absence de lumière alourdit l’ensemble. Seules les vitrines ornées d’objets hétéroclites apportent un semblant de vie. Malgré la sensation de tristesse, elle aime le silence qui se dégage de cet endroit si particulier qui a accueilli un siècle plus tôt une cohorte de peintres qui ont su faire école grâce à leur palette de couleurs vives, en quête de lumière. Une robe posée sur un mannequin en osier attire son regard. Elle se détache de la multitude par la délicatesse de ses couleurs. De grosses pivoines nuancées de rose tyrien et de rouge vermillon et carmin ornent le tissu de crêpe nacré de blanc selon un agencement censément aléatoire. Çà et là, un feuillage composé de taches vertes et brunes encadre les fleurs. De coupe simple, la robe semble attendre le corps idéal pour entamer un duo romanesque.
Le son cristallin d’une sonnette signale son entrée. Une atmosphère feutrée et chaude repousse le morne extérieur à la limite du palier. La chaleur de l’endroit et le brouhaha des personnes agitées de gestes vifs dénouent les fils de ses sombres pensées. Un fier sourire l’accueille. Promptement, elle désigne la robe convoitée en nouant ces deux bras au niveau de la taille du vêtement. Puis, d'un instinct animal, elle plonge son visage dans le soyeux de la trame en respirant bruyamment son odeur de terre mouillée. Le rideau de velours rouge de la cabine d’essayage l’absorbe dans ces plis, l’isolant de l'ambiance animée du magasin – longue inspiration – moment de suspension – détachement du réel.
Prestement, elle enlève ses vêtements en les déposant doucement sur la moquette lustrée par les nombreux piétinements, comme pour éteindre le désir pressant de revêtir la robe – s’en suivra l’envolée lyrique pressentie. Un bref regard vers le miroir situé à l’angle de l’enclos retient son regard. Elle esquisse une moue de dépit à la vue de l'image du corps blanc qui lui fait face et qui se défait vers une inévitable chute. Elle pense soudainement au pantin désarticulé qu'elle a longuement contemplé dans la vitrine voisine. Comme pour se rassurer, elle serre dans ses mains le tissu à l’apparente fragilité. Puis elle lisse fébrilement un dessin de pivoine qui déploie la finesse de ses formes dans toute la crudité de l’instant. Elle se sent transportée dans cet extrême qu’un orient met en exergue en une beauté éphémère – la femme. Le miroir l’égare, il ouvre une perspective semblable à un gouffre dans ce lieu en repli du monde qui l’attire vers une folie. Trois coups brusques la font sursauter, l’extrayant brutalement de cet excès d’irréalité. Prestement, d’un geste assuré, elle enfile le vêtement qui amorce sa lente coulée douce sur son corps. Elle lit dans le reflet du miroir son image qui tremble, bouche béante – elle laisse échapper un cri.
Le vêtement perd sa forme et son éclat. Seul, le chant incarne avec force la dramaturgie de l’endroit. La fleur semble s’épanouir encore davantage. La robe ne se dérobe pas. Elle habille le corps d’une théâtralité de quelque chose qui s’absente. Dans l’espace exigu de la cabine, la même scène se joue à huis clos. L’éclat spéculaire de la fleur poursuit son épanouissement à l’endroit du cœur, imbibant le tissu de sa sève rutilante. En tombant, le corps a décroché le lourd rideau de velours la recouvrant – elle – la femme – d’un linceul de pourpre.
Les applaudissements ont retenti sur le dernier cri de Madame Butterfly.

mardi 21 août 2012


"Lettre à Lou"



lundi 20 août 2012

Lilith